Les enquêtes de Sylvain Parasie aux États-Unis s’invitent aux 3e entretiens du webjournalisme. Ce maître de conférences en sociologie à l’Université de Paris Est / Marne-la-Vallée est également chercheur au LATTS, laboratoire techniques, territoires et société. Il intervient à la table ronde Innovation journalistique made in USA le 29 novembre pour discuter de l’innovation dans les organisations de presse, en particulier les changements liés au traitement informatique de données.
Pouvez-vous me parler de votre expérience aux États-Unis ?
La première enquête s’est déroulée avec Eric Dagiral dans la métropole de Chicago en septembre 2010. On s’est intéressés à des organisations de presse très établies comme le Chicago Tribune. On a surtout interrogé des programmeurs, notamment des « data-journalistes ».
On a également enquêté sur la presse locale en ligne. La presse est presque intégralement locale aux États-Unis, donc les traditions et les formes sont extrêmement variées et le passage sur le web change beaucoup d’éléments.
Dans quels médias avez-vous publié vos articles ?
Ce sont tous des articles de recherche, publiés pour la plupart dans des revues spécialisées françaises, comme Réseaux, et un peu internationales. J’interviens aussi régulièrement pour des médias en ligne, comme Médiapart et Libération.
De quoi allez-vous parler lors de la table ronde “Journalisme made in USA” ?
Je présenterai surtout des éléments sur l’innovation liée à l’informatique, et l’utilisation du traitement de données dans les organisations de presse.
Le deuxième voyage d’études en août-septembre 2012 à San Francisco était consacré à ce sujet. Eric Dagiral et moi-même avons enquêté sur la manière dont on utilise le traitement de données informatiques dans le journalisme d’investigation. On a des profils assez variés : statisticiens, développeurs d’applications web, journalistes d’investigation…
A travers vos études, constatez-vous des liens entre l’innovation journalistique en France et aux États-Unis ?
Si on prend le cas du journalisme de données, il s’est essentiellement développé en Grande Bretagne et aux États-Unis et il y a eu une certaine influence en France. Les innovations des sites comme le New-York Times ou le Washington Post sont surveillées de près par la plupart des organisations de presse françaises. Il y a malgré tout de grandes différences : aux États-Unis, le traitement de données, notamment dans le journalisme d’investigation, remonte aux années 1970. En France, très peu de journalistes de cette époque auraient utilisé des statistiques ou des données.
Que pensez-vous apporter au débat lors des 3e entretiens du webjournalisme ?
Je m’appuierai sur mes expériences de terrain aux États-Unis. On pense souvent qu’il suffit de regarder en ligne pour voir les différences et les innovations, mais il faut comprendre ce que les gens essaient de faire et comment ils sont organisés derrière le site web. Avec mon collègue Eric Dagiral c’est ce qu’on a essayé de mettre en place : faire des enquêtes, passer beaucoup de temps à interroger les gens et essayer de comprendre comment ils travaillent au jour le jour.
Que pensez-vous du choix du thème « Journalisme et innovation » pour les 3e entretiens ?
C’est particulièrement important en ce moment, car on débat sur le financement de la presse en France, notamment par rapport à la taxe Google. Au cœur de ces discussions se trouve la question de l’organisation de l’innovation.
J’ai le sentiment qu’il faut revoir ces formes de financement et faire en sorte que ça permette une véritable innovation. Des acteurs émergents comme des jeunes entrepreneurs, qui composent des formes très innovantes ont du mal à les lancer parce qu’ils ne trouvent pas forcément un cadre très accueillant.
Ce thème sera évoqué lors de la table ronde, notamment à travers la comparaison avec les États-Unis qui est intéressante : il y a moins de financements de l’État et donc une plus grande dépendance vis-à-vis de la publicité, et en même temps des formes de mécénat très développées. On peut en discuter, voir comment on fait en France et si on peut s’inspirer de ce modèle de financement de la presse.