Pinterest & la Presse (6/ 6)
Par Pr. Arnaud Mercier (Observatoire du webjournalisme – OBSWEB, Metz, France)
L’étude comparative des comptes Pinterest de presse porte ici sur 38 magazines imprimés internationaux (hors France et États-Unis), 50 magazines imprimés américains, 38 quotidiens américains (presse imprimée ou exceptionnellement médias nés en ligne) et 2 hedbdomadaires d’information générale, 34 médias français (presse quotidienne ou hebdomadaire, sites, nationaux ou régionaux), 13 quotidiens latino-américains, 8 quotidiens et 1 agence de presse du Canada, 22 quotidiens imprimés européens et 4 autres quotidiens dans le reste du monde. Ce sont ainsi 210 comptes Pinterest de presse qui sont analysés, ce qui fait de cette étude la première de cette ampleur à ce jour. Le tableau complet en version Excel de tous ces comptes avec leur URL et l’état de leurs comptes, entre fin décembre 2012 et le 20 janvier 2013 est à découvrir ici. La plupart de ces comptes ont été ouverts en 2012, ou au second semestre 2011 pour les précurseurs. Certains connaissent une croissance foudroyante, d’autres sont présents encore à titre exploratoire et ne semblent pas pouvoir / vouloir (?) pousser leur présence sur ce réseau social qui vient compléter les autres réseaux.
Identifier les comptes de presse sur Pinterest n’est pas si facile
Le corpus ainsi rassemblé l’a été par recherche systématique des titres de presse les plus connus (critère de réputation), les mieux diffusés dans les plus grands pays (critère de succès commercial) avec le constat qu’un nombre important manque à l’appel (notamment en Europe ou en Amérique Latine). La sélection s’est faite de façon non automatique et systématique. Il s’agissait en Amérique du Nord de retenir des titres de plus de 100 followers au moins (si possible plus, mais dans certains pays, le développement de Pinterest est encore à faire) et qui représentent un panorama assez large des types de spécialisation de la presse. Cela nous a amené à négliger parfois quelques titres avec plus de followers (abonnés) que d’autres et à en retenir d’autres à quelques centaines seulement, mais qui couvraient des domaines d’information moins présents dans le classement de tête.
Ce corpus a été construit par recherche de mots clés sur Pinterest, au niveau des « pinners », c’est-à-dire des titulaires des comptes (ex. journal, magazine, diario, tribune, zeitung, dagblad, magazin…). Nous avons également utilisé le site de mesure d’audience Pinerly, même s’il est loin de recenser tous les titres les plus populaires. Certains ont pu être trouvés mais n’ont pas été retenus (sauf exception pour illustration du phénomène) dès lors que leur compte ne comportait aucun ou 1 à 2 pins, et tout aussi peu de followers, comme s’il venait d’ouvrir, ou s’il avait été laissé là en jachère. La faiblesse du moteur de recherche interne de Pinterest (aucune fonction de recherche détaillée n’existe pour l’instant) ne garantit pas l’exhaustivité de ce corpus pour les comptes qui ont pourtant une activité non négligeable. Nous espérons pouvoir compter sur les lecteurs de cet article pour nous signaler ces manques et enrichir ainsi notre corpus de façon collaborative !
Isoler les titres par pays ou zone géographique s’explique par le fait que le développement de Pinterest ne se fait pas partout au même rythme. Le mouvement a commencé en Amérique du Nord. Les États-Unis et le Canada ont donc fort logiquement un temps d’avance dans l’usage de ce nouveau réseau social pour toute chose, y compris dans l’usage que la presse peut en faire.
Le classement mondial des comptes Pinterest de presse,
par nombre de followers
Parmi les données statistiques évidentes qui peuvent étayer une analyse comparative, il y a au premier rang le nombre de followers à chaque compte, le nombre de pins (qu’on peut traduire par « épingles » ou « punaises ») qui sont plantées sur les comptes et le nombre de boards (tableaux) qui permettent d’organiser la présentation de tous les pins.
Le tableau complet des comptes Pinterest joint à cette étude est ainsi classé de façon décroissante, selon le nombre de followers. Plusieurs enseignements se dégagent.
1°) Dans notre corpus, on oscille entre des dizaines de milliers d’abonnés et presque aucun, et des titres de presse nationaux connus qui n’y sont tout simplement pas ! On a ainsi toutes les peines du monde à retrouver de la presse néo-zélandaise, indienne ou japonaise, même anglophone. Le contraste est maximal entre les différents titres de presse. La presse magazine a plus tôt et beaucoup plus fortement investi ce réseau social que la presse quotidienne, même si celle-ci s’y est finalement mise en Amérique du Nord en 2012. Sans doute faut-il y voir le poids de l’illustration traditionnellement plus fort dans l’offre éditoriale de ce secteur de la presse. Pour certains pays ou certains titres, l’ouverture d’un compte Pinterest est encore récente et exploratoire. Pour le prouver, on a gardé à titre de témoignage quelques comptes, comme celui d’El Pais, en Espagne, qui n’ont aucun abonné. Sans doute, faut-il y voir un geste de prudence du « community manager » ou développeur informatique du site, qui gèle le nom de domaine sur ce réseau social, en attendant de savoir si le groupe décidera ou non de l’utiliser. Il s’agit d’éviter de se faire « voler » ou parasiter le nom de domaine.
2°) Au nombre de followers, dans la catégorie des quotidiens généralistes, le canadien National Post écrase toute la concurrence, puisqu’il dépasse le million d’abonnés ! Grâce au succès immense de son board sur le sport (nous y reviendrons dans le prochain article). Le nombre de ses abonnés s’est accru de plusieurs centaines, voire milliers, par jour, durant la durée de cette étude (28 décembre – 20 janvier). Mais il ne relativise pas avec le premier titre de presse au monde sur Pinterest, le magazine américain de décoration, travaux manuels, Harper’s Bazaar, qui est suivi par plus de 4,5 millions de personnes. Il est ce faisant très loin devant le deuxième magazine de notre classement, The Beauty Department (avec presque 540 000). Un tel succès de ces deux titres mérite qu’on s’y attarde (ce sera l’objet d’un prochain article), pour en comprendre les mécanismes. Il prouve en tout cas que Pinterest peut être un réseau social de masse, faisant forcément venir sur le site de nouveaux internautes.
3°) Un succès d’audience qui concerne très largement les magazines et la presse nord-américaine. L’Amérique du Nord possède un indéniable avantage comparatif, une vraie avance sur l’Europe et le reste du monde. Beaucoup de titres de magazines états-uniens sont très en avance par rapport à la presse du reste du monde en ce qui concerne le nombre d’abonnés. Ce qui recoupe la différence entre les zones géographiques pour la quantité d’utilisateurs de Pinterest en général.
a) De façon générale, au-delà des deux leaders à plus de 500 000, 3 titres sont capables de dépasser les 200 000 followers : Better Homes & Garden ; Real Simple ; Martha Stewart. Seuls 7 magazines américains arrivent aux 100 000 abonnés. Ils représentent parfaitement 4 des grands secteurs pour lesquels le réseau social Pinterest connaît un grand et croissant succès : éducation des enfants et conseils pour les parents (Babble, 158 000, Prevention magazine 106 000) ; mode (Marie Claire, 156 000) ; travaux manuels, décoration (Country living magazine, 159 000 ; Good housekeeping magazine, 153 000, Elle decor, 117 000) et santé – beauté (Women’s health magazine, 143 000). Pour ces titres, la progression du nombre d’abonnés sur 20 jours est permanente, donc ces chiffres ne sont pas du tout un plafond. Et on constate l’existence d’une sorte d’effet de seuil. Beaucoup de titres gagnent péniblement quelques dizaines d’abonnés, là où ceux qui ont franchi un cap de plusieurs dizaines de milliers, voient de nouveaux followers les rejoindre par milliers chaque semaine.
étude Obsweb, données recueillies le 22 janvier 2013
b) Si on considère un nouveau palier, entre 50 000 et 100 000 abonnés, on ne trouve à nouveau que des magazines américains (9) dans les mêmes secteurs, suivis de près par le New York Times (45 000) qui est donc le deuxième titre de presse d’information généraliste au monde sur Pinterest, mais très loin derrière le National Post.
c) Un quatrième palier se situe entre 20 000 et 50 000 followers. On y trouve bien sûr, plus de titres : 11 magazines américains (avec de nouveaux secteurs à succès comme l’alimentation et les people), 2 quotidiens américains (Wall Street Journal & Huffington Post). Notons que Time Magazine, avec plus de 18 000 followers ne va plus tarder à entrer dans ce cercle.
d) Il faut donc atteindre le plancher des 10 000 mais surtout des 5 000 abonnés, pour voir des titres venus d’une autre zone géographique. Le premier titre français (le magazine de mode à déclinaison multinationale, Vogue) atteint tout de même les 27 000 abonnés, suivi par Milk magazine (mode branchée pour enfants) atteint les 15 000. Un magazine de décoration d’intérieur canadien atteint les 16 700 (House & Home). Un autre titre édité en France, mais en langue anglaise (Fleaing France – pour chiner dans les puces & brocantes) dépasse les 20 000, dans un domaine où l’information visuelle est très pertinente et explique le succès pour un magazine si spécialisé. Un magazine néerlandais de travaux manuel dépasse les 12 000 (101 woonideeën). Le Glamour britannique arrive tout juste à franchir le seuil des 5 000. Sinon 9 autres magazines américains de notre corpus dépassent les 10 000 abonnés mais pas d’autres quotidiens d’information. 6 magazines et 3 quotidiens américains (Newsweek, Washington Post, USA Today) ont entre 5 et 10 000 abonnés.
e) 14 magazines retenus hors États-Unis débutent dans Pinterest avec un nombre de followers compris entre 1000 et 5000, ainsi que 6 magazines français (dont Elle & Marie Claire idées), le plus souvent dans le secteur mode-beauté. Mais il y aussi The Economist (1228). On trouve encore 4 magazines américains et 5 quotidiens (dont pour la première fois des régionaux), le quotidien vénézuélien : El Nacional (2000), 3 quotidiens anglais (The Guardian étant en tête), 1 canadien anglophone, et le quotidien de sport espagnol (Marca, 1400). Entre 500 & 1000, on trouve 10 quotidiens américains, 2 titres français (Le Monde et Les Inrocks), et 9 quotidiens dans le reste du monde (Italie, Australie, Canada [dont La Presse, seul titre francophone identifiable dans notre étude], Pérou, Mexique, Grande-Bretagne).
Cela donne donc la répartition suivante de notre corpus :
4°) Les pins les plus populaires sur Pinterest, ceux qui font l’objet du plus de « repin », représentent des secteurs d’intérêt que reflète le palmarès des titres de presse les plus performants. Une étude de Comscore, de janvier 2012, montre que les sujets qui génèrent le plus d’activité sur Pinterest sont, dans l’ordre : la nourriture (les recettes), l’artisanat domestique (le « do it yourself »), les vêtements féminins (la mode), la décoration d’intérieur, la beauté. Ce palmarès est le reflet du fait qu’à près de 80%, à ce moment-là aux États-Unis, ce sont des femmes qui utilisent le réseau social Pinterest.
Données Comscore, janvier 2012
Les magazines de mode & beauté, ceux de décoration, de santé, ceux dont les femmes sont les cibles privilégiées, arrivent donc en tête de notre corpus. Dans les pays où Pinterest est encore assez marginal, notre étude nous a permis de découvrir une série de titres de presse pourtant leader dans leur pays qui n’avaient aucun compte sur Pinterest. Et dans ces mêmes pays, les pionniers sur Pinterest sont souvent dans ces secteurs d’activité liés aux femmes. On y trouve des titres, Elle ou Grazia par exemple, (qui ont une déclinaison nationale de titres papier dans plusieurs pays et langues) et qui doivent donc profiter de l’expérience acquise dans des pays déjà adeptes de ce réseau social, pour se lancer en avance sur Pinterest. D’autres groupes de presse en revanche n’ont visiblement pas de stratégie de partage d’expériences, puisque seule la version américaine a un compte Pinterest.
Il suffit de se référer aux unes de ces magazines leaders sur Pinterest (affichées plus haut), pour repérer de suite que la cible est bien la femme et la mère de famille. Nul doute donc que les groupes de presse ayant des titres spécialisés dans ces domaines auraient tout intérêt à investir Pinterest, pour aller à la rencontre d’un public qui y est déjà ou qui y trouvera rapidement une aussi grande satisfaction à y circuler que les femmes américaines et canadiennes.
5°) En ce qui concerne la gestion des comptes individuels, le nombre de pins épinglés ne suit aucun modèle repérable. On constate cependant une logique globale forte : les titres qui ont le plus de followers font aussi partie de ceux qui postent le plus de pins. Et il ne semble pas illogique d’imaginer que la richesse du contenu offert sur Pinterest accroît les chances d’attirer de l’audience. Mais, entre 10 000 et 100 000 abonnés, le nombre moyen de pins est quasi égal mais cela cache des fluctuations bien plus fortes entre les différents comptes avec une dispersion autour de la moyenne plus élevée, surtout dans la tranche 10 000 à 20 000.
Au niveau de chaque compte individuel, le ratio du nombre de followers par pins donne des résultats totalement contrastés. On trouvera aussi bien des titres avec peu de followers mais qui ont déjà fait des efforts notables pour alimenter leurs tableaux d’assez nombreuses images, que des titres qui bénéficient d’un fort soutien de leur communauté de lecteurs, sans avoir énormément mis de pins en ligne. Les plus forts ratios individuels concernent les comptes les plus suivis mais la hiérarchie par nombre de followers est quand même bousculée quand on mesure cette forme d’efficacité des pins. En tête, The Beauty Department (902 followers par pin posté) puis Harper’s Bazaar (795) et le National Post (315). Mais viennent ensuite des titres avec beaucoup moins d’abonnés. Elle Decor (195 followers par pin) puis The New York Times (120), Women’s Health Magazine (97), Prevention Magazine (90), Marie Claire US (75). D’autres titres s’en sortent bien, avec un ratio de 60 :
– Yoga journal qui avec 350 pins seulement rassemble plus de 24 500 followers. Mais beaucoup de ces pins donnent une information visuelle indispensable : la position précise et souvent complexe du corps à laquelle on doit arriver pour chaque figure !
– Lonny Magazine, spécialiste du design obtient plus de 68 000 followers avec 1035 pins.
– DIY Magazine avec 268 pins fiches de bricolage et artisanat maison, rassemble 16 000 abonnés.
On trouve aussi un coefficient multiplicateur de 40 entre le nombre de pins et de followers dans des magazines américains (Parents Magazine, People, Country living Magazine). Parmi les titres qui ont un ratio correct (> à 10) et qui ne figurent pas dans les meilleurs classements au nombre de followers, on remarque Eye Magazine (revue britannique de design), Rue Magazine (style de vie), Fitness Magazine, Newsweek (8700 followers avec seulement 633 pins), Marie Claire Brasil, Surfer Magazine. C’est dans un ratio compris entre 10 & 20 que l’on va trouver la presse d’information généraliste : The Wall Street Journal, Time Magazine, Newsweek, The Washington Post, la Repubblica en Italie ou le sud-africain Mail & Guardian (qui semblent débuter sur Pinterest).
On notera aussi que dans les comptes encore peu suivis, il existe des situations opposées. Des titres ont ouvert un compte avec très peu de boards et de pins, mais forts de leur notoriété et de la fidélité de leurs lecteurs, ils attirent déjà quelques centaines de followers, prêts à suivre cette nouvelle aventure avec leur journal sur un réseau social en expansion. D’autres titres ont consenti un certain investissement pour mettre plusieurs centaines de pins, parfois plus de 1000, mais ne sont pas (encore) payés en retour, car ils ne récoltent que quelques dizaines de followers. Ont-ils fait toute la publicité nécessaire pour les attirer ? Ont-ils mobilisé leurs comptes sur d’autres réseaux sociaux en synergie ? Ils sont aussi souvent dans des pays où Pinterest est encore mal connu ; or ils n’accompagnent pas leur action et leur compte de tutoriels propres à permettre à tout à chacun de s’initier aux joies de ce réseau social. Pire même, on trouve de très nombreux sites où l’encart devenu habituel de renvoi vers les réseaux sociaux oublie de mentionner le compte Pinterest. De même, la stratégie Pinterest est souvent lacunaire puisque l’icône de partage Pin it est loin d’être partout présente sur les sites.
Nul doute en tout cas que pour percer sur ce réseau social, il faille faire preuve de volontarisme, afin d’attirer de nouveaux venus, en les guidant et les incitant à découvrir ce nouvel outil et en alimentant le compte de suffisamment de pins et de boards pour les organiser clairement, afin de montrer la valeur des images pour entrer dans l’information.
6°) Pour l’organisation des boards, quelques standards semblent déjà incontournables. On peut citer à titre d’exemple et sans hiérarchie :
– les recettes de cuisine ou conseils alimentaires ;
– les unes des journaux et magazines titulaires du compte ;
– les caricatures de presse publiées dans l’édition papier ;
– des pages voyages, tourisme, lieux à visiter ;
– des images insolites, rigolotes ;
– une sélection d’articles mis en ligne sur des sujets porteurs avec une belle photo accrocheuse ;
– des éléments d’archives du titre de presse (vieilles couvertures, faits relatés naguère remis au jour à l’occasion d’une commémoration…) ;
– des chroniques sportives avec des photos de champion ou extraites d’une compétition ;
– des critiques de livres avec comme illustration la couverture de l’ouvrage ;
– des revues de presse avec les liens vers des articles ou « unes » d’autres journaux ou magazine dans le pays ou ailleurs ;
– des conseils pratiques (bricolage, artisanat…)
– des photos de personnalités
– un board spécial lié à un événement, regroupant des images et infos (les jeux olympiques, l’élection présidentielle américaine, un festival local, un ouragan…).
Pour le nombre de tableaux publiés, c’est très variable. Toutefois, pour les titres qui ont le plus de pins mis en ligne et de followers, une majorité organise son espace éditorial avec 40 à 70 boards. Certains vont bien au-delà, comme le Grazia britannique (107), Sunset Magazine (96). Mais le National Post, leader absolu de la presse quotidienne sur Pinterest, n’a que 22 boards pour y caser ses 3325 pins, soit 151 entrées par tableau en moyenne (avec toutefois de fortes disparités entre les thèmes). Véritablement hors norme, avec ses plus de 12000 pins, le magazine pour chiner et brocanter (Fleaing France) ne s’organise qu’en 41 boards, au risque de les saturer puisque cela fait une moyenne de 292 pins par tableau. Flare Magazine (mode canadienne) prend le risque de surcharger ces 14 boards de 4850 pins, soit une moyenne de 346, ce qui dans le dispositif visuel du serveur est une source de noyade du regard. Marie Claire Italie va dans le même sens avec 249 pins par board. A l’opposé, le magazine néerlandais 101 woonideeën, n’a que 2370 pins, allègrement répartis sur 69 tableaux, soit une moyenne très lisible de 34 pins par board. Qu’en est-il de cette moyenne pour les leaders sur Pinterest ? Harper’s Bazaar : 109 ; The Beauty Department n’a que 595 pins et une moyenne de 23 ; Better Homes & Gardens met en ligne 4255 images sur une centaine de boards (moyenne 41,7). Pour les quotidiens et magazines d’information le Wall Street Journal, le Hufington Post & Time oscillent tous entre 30 et 40 de moyenne, tous avec un peu plus de 1100 pins à ce jour.
7°) Et la presse régionale dans tout ça ? Bien sûr, pour un mouvement qui a été initié dans la presse quotidienne américaine essentiellement début 2012, la presse régionale qui a moins de moyens que la presse nationale, est un peu en retrait. Le nombre de tableaux, d’images et de followers est notablement en dessous de la moyenne des quotidiens nationaux. Certains sites sont encore expérimentaux. Nous avons d’ailleurs négligé dans notre corpus de nombreux journaux qu’on peut retrouver sur Pinterest tant ils avaient peu d’expérience et donc d’audience. Diverses stratégies éditoriales sont à l’oeuvre. On retrouve la volonté de s’insérer dans ce qui fait le succès de Pinterest, à savoir les boards sur la déco, les images insolites, les vedettes, etc. Et quoi de plus facile que de jouer la carte des recettes de cuisine (thèmatique phare sur Pinterest) en la déclinant à la sauce locale et régionale ? Il y a aussi les “unes” des journaux, ou une sélection des meilleurs articles chez certains journaux, comme le fait en France le site aquitain Aqui.fr, très actif sur Pinterest (plus de 1100 pins). L’offre promotionnelle liées à des activités commerciales ou culturelles locales peut aussi se voir offrir un tableau dédié, comme ici pour le Saint Louis Post Dispatch et ses 235 pins offrant diverses promotions aux lecteurs. La promotion au niveau local semble la cible de choix pour ce type d’usage, déjà repéré, de Pinterest.
Mais on trouve des usages plus inédits, liés à une information de proximité. Le Star Tribune propose un reportage d’un jeune hockeyeur local devenu paralysé. Bien sûr les sports typiques ou l’équipe locale ont droit à un tableau spécial, avec forces images, et parfois des commentaires d’internautes (ce qui reste rare sur Pinterest). La rubrique “sortir” est souvent présente. Il faut dire que la présentation en image d’un extrait de spectacle, d’une affiche d’expo, d’une oeuvre, d’un lieu, se prêtent fort bien aux qualités du support Pinterest. Un événement local se prête aussi très bien à la création d’un board dédié, et si possible collaboratif (photos d’une inondation spectaculaire, d’un festival musical comme la Fiesta nacional del Chamamé 2013 à Corrientes en Argentine). La présentation des espaces naturels et culturels qui font la richesse de la région sont aussi présents dans plusieurs comptes, au risque peut-être de ressembler à un guide touristique. Mais c’est aussi un élément de fierté d’appartenance qui se joue entre les lecteurs et le journal. L’usage de valorisation de archives évoqués dans un article précédent, est très présent dans beaucoup de sites de presse locaux, jouant à la fois sur la nostalgie (notre ville, notre région d’antan) ou sur l’étonnement (et oui, avant c’était ainsi !) ou encore la pédagogie (les moments historiques pour la ville). On peut donc retrouver 150 photos du Old Philadelphia, ou 50 photos de Saint Louis. Au Canada, le Edmonton Journal tient un board avec un article quotidien : This day in journal history, consistant à reprendre un vieil article du journal et une photo correspondant pour revenir sur un fait intervenu à la date donnée.
On peut jouer la carte de la proximité et de l’insolite, avec des photos rigolotes ou insolites, comme ici ces images That is SO Dallas ! du Dallas News.
L’engagement de l’audience sur le plan local, semble une évidence. A l’heure où tant de gens font des photos avec leurs appareils mobile, les échangent via des réseaux comme Instagram, quoi de plus aisé que d’inciter des habitants (lecteurs ou pas) à venir partager leurs photos sur un tableau dédié ? La Baltimore Sun par exemple encourage ses lecteurs a déposé des photos originales, décalées, de la ville et de ses habitants. Plus original, le Philadelphia Inquirer propose un tableau sur les mariages à Philadelphie, avec déjà une centaine de photos des mariés qui veulent participer à ce tableau, au milieu d’images de robes de mariées et accessoires (eux aussi très diffusés sur Pinterest). Le DesMoines Register accumule déjà 240 images dans son board collaboratif : “Community Favorites“.
On peut donner la parole en images aux citoyens (ce n’est pas un oxymore !), comme le fait le Detroit Free Press.
On trouve aussi des expérimentations ingénieuses, comme cette façon étonnante de proposer d’entrer dans les article du San José Mercury News via des pins faits d’une image et d’une citation souvent humoristique, toujours intriguante, qui doit donner envie d’aller voir.
.La presse régionale et locale a donc aussi investi Pinterest en Amérique du Nord et parfois de façon inventive ou adaptée à ses spécificités, prouvant, dès lors, que les potentialités du support ne font pas obstacle à son usage par les rédactions de la PQR, bien au contraire. Reste que l’audience n’atteint pas les chiffres spectaculaires de la presse magazine, et qu’on est plus dans une phase exploratoire et de développement qu’une confirmation de succès.
Conclusion
Si l’Amérique du Nord bénéficie de plusieurs longueurs d’avance, on ne voit pas ce qui empêcherait que le public européen et d’ailleurs s’empare à son tour de ce réseau social très convivial et simple d’utilisation. De même que Twitter n’a jamais été pensé, par ses concepteurs, pour les journalistes et pour l’information, de même il appartient aux rédactions d’avoir la curiosité et la créativité nécessaire pour percevoir l’utilité de déployer leurs informations sur Pinterest. L’avance prise par les rédactions d’Amérique du nord est une chance puisqu’elle permet de disposer de modèles à observer pour s’en inspirer. Un double cercle vertueux peut parfaitement se mettre en place : plus les internautes iront sur Pinterest pour leur loisir, leur plaisir, plus ils penseront aussi à l’utiliser pour rechercher de l’information presse ; plus les titres de presse alimenteront leurs comptes Pinterest, plus leur lectorat s’intéressera à Pinterest en général, en en découvrant les vertus.
Nous verrons dans un prochain article la stratégie adoptée par le leader mondial de la presse quotidienne sur Pinterest, le canadien National Post, qui dépasse le million de followers et par Harper’s Bazaar, leader mondial de la presse magazine avec plus de 4 600 000 d’abonnés. Avant de terminer notre série par une réflexion sur la présence encore balbutiante sur Pinterest de la presse française.