Enlèvements planifiés, exécutions sommaires, assassinats ciblés ; des mots qui, trop souvent, servent à qualifier le sort réservé aux professionnels de l’information présents en zones de conflits pour informer, dénoncer, éclairer. La mort tragique de Ghislaine Dupont et Claude Verlon, deux membres de la famille RFI lâchement assassinés samedi à Kidal, dans le nord du Mali, est une autre démonstration que ces hommes et femmes sont davantage que des témoins et relais de l’histoire, de la beauté comme de l’horreur. Ils sont aussi des cibles.

Les envoyés spéciaux de RFI Claude Verlon et Ghislaine Dupont, enlevés puis froidement assassinés au Mali. (Source : RFI)
Le journaliste Cyril Bensimon, un spécialiste de l’Afrique qui a passé près de 20 ans à RFI avant de rejoindre la rédaction du Monde, résume avec justesse un sentiment partagé par l’ensemble de la profession : “Que dire ? Qu’écrire dans d’aussi tragiques circonstances ?”.
Nous n’avons pas la prétention d’avoir réponse à ces questions. Ce qui n’empêche pas les journalistes que nous sommes d’être d’accord avec la réponse fournie par M. Bensimon à une autre question: “Les journalistes doivent-ils abandonner les régions les plus dangereuses ? Répondre par l’affirmative serait condamner ces zones à l’oubli. Pas de témoin, [c’est comme] pas de crime”.
Un sentiment que partageaient assurément les deux envoyés spéciaux de RFI. Continuer d’informer pour ne pas oublier. Si ça vaut pour les causes et leurs injustices crasses, c’est aussi vrai pour leurs acteurs, leurs témoins, leurs victimes.
Alors que les larmes des collègues, amis et membres de la famille coulaient encore, des centaines de Maliens, accompagnés de membres de la direction de RFI, ont marché dans le nécessaire silence qu’impose une telle tragédie. Une marche de soutien aux personnes touchées par le drame, un acte de protestation contre l’odieux crime. Le message était clair et limpide : “Plus jamais ça !”.
Depuis l’annonce de la terrible nouvelle, les témoignages de sympathie affluent d’Europe comme d’Afrique. Alors que se déroule la 7e édition des Assises internationales du journalisme et de l’information à Metz, en France, pareil drame ne pouvait être ignoré. Dans une ambiance entremêlée de colère, de chagrin, d’heureux souvenirs et d’espoir, nombreux sont ceux qui ont tenu à rendre hommage aux deux professionnels assassinés.
Parmi l’abondance des réactions, ces quelques commentaires d’amis et collègues de Ghislaine et Claude résument fidèlement le sentiment général exprimé à l’occasion de cette célébration du journalisme.
Hélène Da Costa, reporter à RFI pendant 27 ans et maintenant coach de transition professionnelle
Je suis bouleversée, abattue, en colère, indignée. Ce sont des confrères qui étaient véritablement des grands professionnels du terrain, un terrain aussi difficile que peut l’être parfois la réalité en Afrique. Ghislaine était une passionnée du continent qui était toujours au téléphone en train de recouper ses informations et RFI était une grande partie de sa vie. Claude était l’As des techniciens. Tout le monde rêvait d’avoir Claude en reportage car même l’impossible lui était accessible. J’ai beau avoir quitté RFI il y a trois ans, je réalise que c’est encore ma famille.
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Ziad Maalouf, Atelier des médias RFI
C’est un événement d’une telle violence que nous avons reçu des dizaines et des dizaines de témoignages de solidarité et de compassion, provenant d’auditeurs, d’amis, de gens qui nous connaissent et qui sont tous terriblement choqués. Pour quelqu’un comme moi qui a côtoyé ces personnes attachantes et extrêmement professionnelles, des super collègues, des références dans le métier, c’est presqu’impossible d’imaginer la violence de ce que nos amis ont subi.
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Jacqueline Papet, 40 années passées au service de RFI
RFI a toujours eu une relation particulière avec l’Afrique et que Ghislaine et Claude aient trouvé la mort sur le continent africain est encore plus brutal. Nous sommes très choqués et les Maliens le sont également. Je suis très triste aujourd’hui..
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Jean-Marie Charon, sociologue des médias et du journalisme
C’est un drame humain, mais c’est aussi un drame pour la rédaction de RFI qui, pour la troisième fois, se retrouve endeuillée par l’exécution de journalistes. Ça révèle hélas un contexte nouveau du travail journalistique dans les zones de guerre. Ils sont pris pour cibles et il faut comprendre pourquoi. Cette autonomie des journalistes par rapport aux belligérants se paye par un niveau de dangerosité qui n’a jamais été connue auparavant. L’enjeu est toujours le même : intimider ces témoins et faire en sorte qu’il y ait de moins en moins de journalistes dans les zones de confits.
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Franck Weil-Rabaud, rédacteur en chef, France Bleue Lorraine (Sud), anciennement chez RFI
C’est une réaction de dégoût et d’infinie tristesse d’apprendre la mort de deux confrères qu’on a côtoyés pendant des années. J’ai eu l’occasion de partir en mission avec Claude et c’était quelqu’un sur qui on pouvait s’appuyer, bien plus qu’un technicien. C’était un énorme confort de partir avec lui. Claude permettait d’avoir ce double regard essentiel et indispensable, en particulier dans les zones les plus sensibles. Quant à Ghislaine, c’était une personne pugnace, qui ne lâchait jamais rien. Ce sont là deux pertes immenses pour la profession.
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Jérôme Bouvier, ex-directeur de la rédaction de RFI et organisateur des Assises internationales du journalisme et de l’information
On se retrouve dans une situation où des acteurs d’une guerre estiment que des journalistes sont des gens à abattre. C’est toute la profession qui est ensanglantée depuis quelques jours. La seule réponse appropriée est de repartir au Mali, en Syrie, partout où il y a nécessité que des journalistes fassent leur travail et leur mission. Ce dont je me souviens, c’est de la cohésion qu’il y avait autour de cette rédaction. Il y avait là une exigence, une rigueur et une passion. Je tiens à répéter notre témoignage d’infinie tristesse et leur redire bravo, car c’est en retournant sur le terrain comme vous le faites que vous répondez à tous les assassins.
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Penser aux autres
Ici, l’heure n’était pas à l’explication rationnelle et véridique de tels crimes, même si de grandes lignes ont déjà été tracées à ce sujet par la presse internationale. La violence de l’émotion suscitée par le drame nous force à penser aux proches des victimes, à l’incroyable douleur qui les afflige, au sentiment d’injustice qui habite tous ceux qui ont connu Ghislaine Dupont et Claude Verlon.
Le tribu ultime payé par ces collègues de métier oblige également, pour une énième fois, chaque acteur de la profession à réfléchir profondément aux valeurs et idéaux défendus par ces professionnels de l’information, la liberté d’informer au premier chef.
Une liberté dont il est question à Metz, aux Assises internationales du journalisme et de l’information, qui rendent hommage cet après-midi aux professionnels disparus. Une réalité et un devoir qui ne disparaissent pas avec les douloureux départs de Ghislaine Dupont et Claude Verlon. Un constat qui nous revient brutalement au visage quand on évoque les quatre journalistes français toujours otages en Syrie. Continuer d’informer pour ne pas oublier, c’est maintenant penser à ceux qu’on peut encore espérer sauver et voir un jour témoigner.
Jean-Nicolas Saucier