Ijsberg, un nouveau projet bi-média dans l’ère du temps ?


Ijsberg est un mot néerlandais mais également un nouveau site d’information français. Signifiant “iceberg”, il a pour vocation de traiter la masse d’informations “qu’on ne voit pas”. 90% du volume de ce bloc de glace est situé sous la surface de l’eau et Ijsberg s’intéresse justement à cette partie immergée. Vous ne trouverez pas sur ce site de vidéos de “lol-cat”. Vous ne trouverez pas non plus d’articles sur la rupture entre Valérie Trierweiler et le président de la République. Même les attentats contre Charlie Hebdo ont été très peu évoqués par la rédaction du magazine. Pourquoi ? Parce-que le site ne traite que de l’actualité internationale. Pas d’autres rubriques.

ijsberg

Grâce à sa soixantaine de correspondants, disloquée au quatre coins du monde (essentiellement des journalistes fraîchement diplômés ou qui ont soif d’exil), Ijsberg parle des combats oubliés, des métiers ignorés ou encore des droits revendiqués. À son rythme.

Car il est bien là le côté atypique de ce site : sa navigation se décompose en trois temps. Selon votre humeur, à vous de choisir la cadence de l’information. Promptement, calmement ou lentement. Voici les trois mots que l’on retrouve ancrés sur la page d’accueil. La première catégorie traite brièvement d’informations internationales en quelques signes. La seconde comporte des articles plutôt enrichis. La dernière se consacre aux longs formats, “la raison d’être” d’Ijsberg. “Les deux premières catégories permettent d’apporter du trafic. Nous sommes pragmatiques. Il faut un minimum être dans une logique de flux pour être référencé”, explique Florent Tamet, l’un des cofondateurs du site. Parfois, certaines brèves peuvent être approfondies et donner lieu à un long format. Le reste du temps, ce sont des sujets commandés ou suggérés par les correspondants. Ces derniers sont rétribués pour chacune de leur publication : entre 35 et 60 euros pour un article, de 150 à 300 euros pour un long format. “On les rémunère à notre niveau”, précise Florent Tamet.

La start-up lyonnaise continue de fonctionner sur fonds propres. Après cinq mois d’existence, elle n’est toujours pas à l’équilibre. Mais le premier encart publicitaire devrait être posté d’ici fin janvier. Les autres suivront. Le site continuera d’être gratuit, mais une version print payante devrait voir le jour à la fin du printemps. Un trimestriel, “mi-Mook, mi-magazine”, sera tiré à 30.000 exemplaires. Bien sûr, les contenus seront exclusifs. “Nous ne souhaitons pas recycler les contenus en ligne sur la version écrite du magazine”, assure le cofondateur. Il faudra débourser entre 7 et 10 euros (le prix n’a pas encore été précisément fixé) pour s’offrir un exemplaire papier d’Ijsberg. Ces ventes espérées ainsi que publicités sur le site devraient permettre au nouveau projet bi-média d’être à l’équilibre. Mais on en est encore loin. Ijsberg compte, en moyenne ces derniers mois, 55.000 visiteurs uniques. Le magazine espère atteindre les 300.000 visites mensuelles d’ici deux ans.

Un format adapté au web ?

Si le web regorge d’articles plurimédia, les longs formats restent minoritaires. Supposés coûteux, il est difficile de les rentabiliser. De nombreuses études prouvent en effet que les internautes sont extrêmement furtifs lorsqu’ils naviguent sur Internet. Selon l’Idemm, les Français ne passent en moyenne que 41 secondes sur la même page. Les lecteurs du web “scannent” les pages, “scrollent”, cherchent du regard les informations qui les intéressent. 80% du texte est lu en diagonale, 20% lu en mot à mot ; c’est la “lecture zapping”. Des résultats peu encourageants pour Ijsberg, mais Florent Tamet n’en démord pas. “Nos statistiques contredisent ces chiffres. Nos lecteurs restent en moyenne plus de trois minutes sur la même page”, affirme le cofondateur. “Parmi les dix contenus les plus lus, six sont des longs formats. Nous nous adressons à un public qui a réellement envie de s’informer, qui aime lire et s’instruire”, ajoute-t-il. Sans négliger que le design d’Ijsberg reste très épuré. Les visuels sont peaufinés, le site n’est pas surchargé, la navigation reste intuitive et le journalisme se veut narratif. “On adapte au mieux les supports à l’actualité. Nous, on part du sujet et on créé une forme autour. Il n’y a aucune contrainte de support. Nous allons prochainement tenter un long format uniquement en son car le sujet (resté secret) s’y prête. Mais nous avons aussi les pieds sur terre pour nous rendre compte que 45.000 signes sans une photo ou vidéo, c’est imbuvable !”

La start-up lyonnaise se veut audacieuse et aime les paris. Celui de remporter le prix de l’innovation en journalisme a fonctionné. Reste maintenant à convaincre de nouveaux internautes de s’informer via Ijsberg. “Aucun plan média n’a été entrepris, excepté celui du prix financé par Google. On ne fonctionne uniquement par le bouche à oreille et en étant présent sur les réseaux sociaux”, informe Florent Tamet. Autre bonne nouvelle pour le magazine : Google souhaite davantage favoriser le référencement de ces formats longs et enrichis. Idem pour sites sécurisés en “HTTPS”, chiffrement pour lequel Ijsberg a tout de suite opté. Au sein de l’équipe, on retrouve pas mal de geeks ; ce qui leur permet de réduire au maximum les coûts liés au développement.

D’autres concurrents

Mais la résistance à l’infobésité ne se cantonne pas à Ijsberg. De plus en plus de médias se constituent autour de cette idée de slow info, d’information avec plus de recul, souvent en long format et parfois payante. Deux nouveaux sites, Ulyces et Le Quatre Heures, se sont aussi lancés en France sur ce créneau.

Se définissant comme une maison d’édition numérique publiant “des histoires vraies sélectionnées pour leur qualité littéraire et leur exigence journalistique”, Ulyces propose une série de longs articles, qui peuvent être achetés à l’unité, pour des prix allant de 0,89 à 2,49 euros. Les lecteurs peuvent également s’abonner pour 5,49 euros par mois.

Un mercredi par mois à l’heure du goûter, Le Quatre Heures propose quant à lui, un reportage multimédia mêlant textes, vidéos, photos et sons. Lancé début 2013 sous la forme d’un projet étudiant en école de journalisme (ndlr : au CFJ à Paris), le site mise sur la formule de l’abonnement (2 euros par mois ou 19.80 euros par an). Il espère atteindre l’équilibre d’ici un à deux ans en attirant 4.000 à 5.000 abonnés et exclut de recourir à la publicité.

Ces médias, nés en ligne comme Ijsberg, misent sur le recours croissant aux tablettes et s’inspirent des e-singles, ce format qui se développe depuis trois ans aux États-Unis. L’exemple le plus connu est celui du New-York Times et de son SnowFall, un récit multimédia relatant une avalanche. En France, L’Équipe a lancé il y a deux ans “Explore”, une plate-forme de reportages multimédia sur le sport.

Quant au Miroir Mag, qui proposait entre autres de grands formats sur l’actualité bourguignonne, l’équilibre financier n’est plus atteint. En autofinancement depuis près d’un an, l’équipe du Miroir est aujourd’hui en cessation de paiement. Le succès de la slow info en ligne est donc mitigé. Il reste difficile d’inciter les internautes à payer pour de longues enquêtes, de plus en plus nombreuses. Pas sûr qu’Ijsberg entrevoit donc des jours paisibles, même si la volonté de bien informer de la part de ces jeunes idéalistes est louable.

 


A propos de Obsweb

Le programme de recherche OBSWEB - Observatoire du webjournalisme (CREM - Université de Metz) étudie les transformations en cours au sein de la presse d’information avec l’avènement d’Internet et de l'écriture multimédia.