En cette période de crise, les journalistes font fonctionner leur imagination pour créer de nouveaux outils informatifs. Parmi ces créations, les newsgames sont certainement la plus originale mais aussi la plus poussée. Comment intéresser le lecteur à l’actu ? En le glissant dans la peau d’un personnage vivant au plus près les faits qui animent le monde.
Par Alice Beckel & Guillaume Oblet
Héros de la réalité
Vous êtes un civil en plein siège de Sarajevo et luttez pour votre survie, vous êtes François Hollande et devez faire les bons choix pour conserver la majorité à l’Assemblée, vous êtes un chef d’entreprise et vous vous démenez dans les propositions de conseillers en communication… vous êtes surtout au cœur de l’actualité et ce sont les newsgames qui vous ont mis là-dedans. Nouvel outil ludique dans la trousse des journalistes, ce dispositif proche des jeux vidéo -la valeur informative en plus- promet au joueur une immersion dans la réalité. De ce plongeon au cœur du réel, il émerge la compréhension d’un fait.
C’est cette capacité à faire vivre un évènement, à créer de l’empathie qui fait du newsgame, un instrument “journalistiquement” intéressant. L’internaute n’est plus confronté à un discours délivré par un média mais bel et bien à l’intérieur de la situation d’actualité. « Le jeu vidéo propose une discussion. Internet est un média qui va dans les deux sens, nous ne sommes pas uniquement dans la réception d’un message », explique Florent Maurin, spécialiste du genre. « Même si les concepteurs ne maîtrisent pas tous les effets qu’ils provoquent chez l’internaute, les newsgames offrent une meilleure compréhension et mémorisation.»
Les coulisses de la création
Avant de faire enfiler à des joueurs le costume digital de héros de l’actu, les journalistes et développeurs qui conçoivent ce type de jeux doivent d’abord élaborer un scénario et construire un certain nombre de règles. Des étapes qui débutent par un travail de documentation et d’approfondissement du sujet. Faire connaissance avec le thème pour mieux le disséquer. Si les phases préparatoires ont beaucoup de similitudes avec le journalisme, il est important de se poser certaines questions pour faire fonctionner le tout. « Qu’est-ce que je veux raconter ? », « Quelles sont les règles du jeu ? », « Quelles sont les conditions de victoire ? ». Autrement dit créer des choix et un but précis à atteindre. Par exemple, dans documentaire/newsgame « Reconstruire Haïti », il vous est demandé de prendre des décisions afin de remettre la ville sur pied après le séisme de 2010. Au fil des alternatives, le joueur se heurte à différentes réalités et réussir cette mission s’avère beaucoup plus difficile que prévu.
Bien que les newgames semblent donner quelques nouveaux points de vie à la pratique journalistique, ils ne comptent que peu d’acteurs. Quelques journalistes, des développeurs et une partie de la scène indépendante du jeu vidéo osent se lancer dans l’aventure, en faisant, par la même, la poussière sur les préjugés qui enrobent le petit monde des gamers. « Ça ne demande pas forcément beaucoup de temps et d’argent. Par exemple, “Le jeu dont Hollande est le héros ” a été créé en deux jours avec très peu de moyens. Les médias sont prêts à investir dans cette nouveauté et il n’est pas très difficile de trouver des aides financières », annonce Florent Maurin. Ce petit monde fait de bricoleurs de la ligne de code et d’as du travail éditorial évolue avec des outils de créations (des logiciels comme Twine ou Racontr) faciles à prendre en main. L’accessibilité de téléchargement qu’offre internet et le langage propre aux jeux vidéo compris par le plus grand nombre jouent pour que cette économie naissante passe les niveaux vers la reconnaisse du public en évitant le « game over ».