Un empire nommé Nestlé


Grâce à un quizz original, le webdocumentaire Un empire dans mon assiette nous plonge dans les dessous du géant suisse Nestlé. Quelle stratégie adopte le n°1 de l’agroalimentaire, classé en 2013 ? Combien de sucres absorbons-nous en mangeant nos céréales ? Comment réussit-il à vendre aux riches ? C’est à vous de répondre…

10 milliards de bénéfices. 80 milliards de chiffre d’affaires. 8 000 marques. C’est à peu près ce que pèse Nestlé dans le monde. En 2013, elle est la première entreprise d’agroalimentaire du monde et demeure aujourd’hui l’une des plus grandes. Nestlé, on en mange au petit déjeuner, on en tartine sur nos viennoiseries autant que sur notre corps. On l’intègre même sur nos pupilles avec ses lentilles de contacts Care. Nestlé, des pieds à la tête et surtout les pieds dans le plat. Car quel est le prix de cette réussite indéniable ? Nestlé est l’une des figures dominantes du lobbying européen, forte de ses dissimulations et de ses campagnes publicitaires. Pour la première fois, un webdocumentaire s’attaque aux dessous de ce géant, dont on ne savait finalement pas grand chose.

Tout commence dans un placard. Le mien, le vôtre et celui des millions de consommateurs de produits Nestlé. Ouvrez-le et comptez. Vous y trouverez 1, 2, 3, 4 produits arborant le célèbre symbole de l’entreprise, avec ses oiseaux dans un nid. Nestlé est partout. Nous en consommons sans même nous en rendre compte avec ses filiales… Un placard : c’est donc avec cette image que débute le webdocumentaire de la journaliste Judith Rueff, publié en avril 2014 en partenariat avec Terra eco, Le Monde et France Info. Que le jeu commence.

Page d'accueil du webdocumentaire

Dans l’ombre de nos placards

Purée Mousline, Chocapic, Perrier… Voici ce qu’on trouve dans le placard virtuel imaginé par Judith Rueff. Il est la première image du webdoc et en demeure la page d’accueil. A l’image de nos placards souvent bien trop remplis, celui-ci est encombré d’une série de silhouettes des emballages plus ou moins emblématiques de la marque. L’internaute peut faire défiler la liste des produits, réalisés en dessins colorés. C’est dans la réalisation et la navigation que Judith Rueff réussi un petit coup de maître. Car comment faire passer ces informations lourdes et peu attrayantes ? Ce webdocumentaire est en effet basé sur de longs mois de recherches, des centaines de chiffres et des interviews d’acteurs proches de l’entreprise ou des acteurs extérieurs.

En cliquant sur un produit Nestlé, une question nous est posée. C’est à nous d’y répondre, en résolvant des énigmes, en faisant des choix multiples ou en faisant bouger des choses… Après la réponse, une vidéo composée d’interviews et d’images d’archives nous expose la bonne réponse.

O combien l’exemple des céréales Nesquik en est représentatif. « Combien de sucre j’absorbe quand je bois un bol Nesquik ? » Voici la question posée à l’internaute. Il est invité à jouer avec sa réponse, en faisant glisser la surface du liquide sur un bol, pour représenter le niveau de sucre souhaité. 30%, 50% ? Faux, un bol de Nesquik correspond à 80% de sucre et 20% de cacao… « Nestlé vous aide à améliorer votre santé », clament pourtant les affiches publicitaires de la marque, qui décline tout lien avec l’obésité au fil des reportages, des interviews filmées et les images d’archives.

A la fin de la vidéo, l’internaute retourne sur le page d’accueil, le placard, et doit recommencer le processus. La devise de la marque, « Good food, good life ! », est décortiquée et mise face aux commentaires de Paul Bulcke, administrateur délégué de nestlé, en avril 2013 : « La nutrition est au cœur de Nestlé ». Ou comment promettre une alimentation saine et équilibrée.

L’internaute atteint le premier palier après trois questions. A chacun des trois paliers, une carte interactive représentant l’évolution de l’empire s’ouvre alors à lui. Grâce à une épuration intelligente, celles-ci sont très parlantes : nous pouvons naviguer entre 2002 et 2012 pour connaître l’essor et l’évolution de l’entreprise entre les pays. Avec une hausse de 62% de son chiffre d’affaires, c’est en Afrique que la marque a réalisé sa plus grosse augmentation.

Carte interactive du palier 1

Une navigation originale mais répétitive

Tous les chiffres, toutes les données, les interviews réalisées et les informations relèvent d’une enquête très bien documentée au long court menée par Judith Rueff. La journaliste n’en est pas à son coup d’essai : elle a également réalisé cette enquête en Afrique. Des vidéos et photos d’archives nous permettent de retourner dans le passé, dans les années de gloire de la marque. Les informations sont précieuses et nous nous rendons bien vite compte de la grande supercherie diligentée par Nestlé. C’est là tout l’intérêt du webdocumentaire.

Car si la journaliste a tenté de démocratiser un peu ces informations en passant par la forme d’un quizz, le fond se perd parfois dans la forme. L’enquête interactive est une manière plus scolaire et originale pour aborder les limites de la marque. Scolaire, voire un peu trop. Le contenu, qui suit toujours le même schéma ‘question-réponse-vidéo’, est vite noyé par un aspect un peu répétitif. L’internaute est invité à répéter trois fois ce processus. On regrette un peu le manque de changement de narration et les dessins un peu trop enfantins. Si à la fin on découvre toutes les coulisses de l’empire, il est difficile d’atteindre le dernier palier. Le fond sonore composé de bruits d’intérieurs (des papiers qu’on froisse ou des céréales qu’on verse dans un bol), retiennent difficilement notre attention. Le support peut finalement être détaché de l’enquête. Il ne sert pas foncièrement l’avancée de l’enquête. Raison pour laquelle il existe plusieurs versions, celle-ci et une ne contenant que les vidéos. Une fois encore : c’est à nous de choisir.

Le webdocumentaire met en lumière les dessous de Nestlé, grâce à une forme originale et la plus abordable : un jeu. L’enquête colossale est accessible au plus grand nombre. Une chose est sûre, à la fin du webdoc, vous réfléchirez à deux fois avant de prendre votre bol de Nesquik.

On récapitule…

Les points forts :
-une enquête très bien documentée
-un quizz original
-une prise en main rapide
-accessible à tous

Les points faibles :
-une navigation répétitive
-la forme dessert parfois le fond
-une graphie trop scolaire