Chercheur à l’Université de Toulouse 3, Nikos Smyrnaios ouvrait les 7es Entretiens du webjournalisme. Dans sa conférence inaugurale, il est revenu sur les relations parfois problématiques entre journalistes et annonceurs.
« Ce que j’ai à vous raconter n’est pas très joyeux », s’excuse d’emblée Nikos Smyrnaios, le ton grave. Chercheur à l’université de Toulouse 3 au sein du Laboratoire d’études et de recherches appliquées en sciences sociales (LERASS), il annonce, en ouverture de la 7e édition des Entretiens du webjournalisme : « Cette conférence adoptera un angle critique ; c’est le moment de faire un point sur l’évolution du journalisme en ligne depuis 15 ans. » À l’entendre, le bilan n’est pas bien positif.
Pour entamer la conférence, petite piqûre de rappel des bases philosophiques. Puisque son propos traitera d’autonomie, le chercheur revient sur la définition de cette dernière selon Kant : « Se donner à soi-même sa propre loi », et non faire intervenir « une loi extérieure qui s’impose à soi. »
Le principe d’autonomie au sein du travail journalistique est avant tout essentiel pour l’indépendance. Selon les dires de Nikos Smyrnaios, « on peut dire d’un journaliste qu’il est bon car il est reconnu par ses pairs, non par le service marketing de Google ou par les boîtes de communication ». À notre époque, tout journaliste se doit de jongler entre sa propre autonomie, qui donne la priorité à l’enquête, et les obligations financières de sa direction, qui donnent la part belle aux annonceurs commerciaux.
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« Les choses ne sont pas très roses »
Dans l’imaginaire collectif, Internet est un justicier pourfendeur des inégalités et champion de la neutralité. Il serait pluraliste par nature : le moyen de diffusion ultime, seul outil capable de faire face à la corruption des multinationales.
La réalité, selon Nikos Smyrnaios, est toute autre et s’avère être plus noire. Tout média se doit d’obtenir un financement pour exister ; et le financement par excellence du web c’est la publicité. Le journalisme en ligne en subit les conséquences :
- Conflits entre contenu des publications et intérêts des annonceurs ;
- Confrontation aux exigences des algorithmes ainsi qu’aux tendances de rédaction populaires : clickbait, fake news, infotainment… ;
- Harmonisation de l’info : « Tapez Benoît Hamon ou Donald Trump sur Google », constate Nikos Smyrnaios, « vous allez trouver des milliers d’articles qui disent la même chose » ;
- Journalisme low-cost : « Ce type d’info nécessite des journalistes qui ne coûtent pas cher et qui produisent beaucoup ».
“Le bâtonnage de dépêches standardise le travail, quantifie des objectifs et formalise des procédures” @smykos #obsweb
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Avant l’invention d’Internet, ces problématiques inquiétaient déjà la Fédération Nationale de la Presse Française (FNPF) qui avait adopté en 1945 la « Déclaration des droits et des devoirs de la presse libre ». Celle-ci précisait notamment que la presse n’est « pas un instrument d’objet commercial, mais un instrument de culture ».
Telle est la problématique chère au conférencier : rappeler à tous que le travail journalistique doit faire preuve de rigueur, et que cette dernière ne peut être obtenue lorsque les médias sont soumis, technologiquement ou économiquement, à ces pouvoirs économiques qu’il nomme « l’oligopole d’Internet ». Ceux qu’il compare à « des ogres qui mangent tout ce qui peut leur faire de l’ombre, qui rachètent toute société susceptible de leur faire de la concurrence, parfois juste pour les tuer ». « On est loin de la concurrence libre et non faussée, on est vraiment dans le capitalisme prédateur. »
“Les GAFAM (Google, Facebook, Amazon et Microsoft) contrôlent les moyens d’accès à l’information numérique” @smykos #obsweb
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Benjamin Jung & Jean Vayssières