Paye ta pige : les premiers résultats de l’enquête


Entretiens du webjournalisme 2018 / Résultats de l’enquête #PayeTaPige

Face à la précarité de la condition de pigiste, Nora Bouazzouni, journaliste, traductrice et auteure, révèle les premiers résultats exclusifs de son enquête sur la rémunération des journalistes indépendants.

« Les exemples qui suivent peuvent choquer la sensibilité des plus jeunes journalistes aspirant à une carrière de freelance, ainsi que les personnes non averties », prévient Nora Bouazzouni. « Et choquer les gens qui sont abonnés à certains magazines. » Le ton est donné.

L’élément déclencheur du projet #PayeTaPige est l’annonce, début juin, de la fermeture de Buzzfeed France, qui énerve et attriste profondément la journaliste, traductrice et auteure de Faiminisme, quand le sexisme passe à table (2017). Rare média à traiter correctement ses employés, Buzzfeed France proposait des sujets originaux et sociétaux autour du féminisme, du genre et du droit des LGBTQI. L’équipe se plaçait sous le signe de la diversité avec « la rédaction la moins blanche de France » et une moyenne d’âge basse. Buzzfeed donnait ainsi aux jeunes journalistes l’espoir de pouvoir accéder un jour au sacro-saint CDI… et donc à la sécurité de l’emploi.

Le jour même de l’annonce, elle lance un appel à témoignages sur son compte Twitter à destination des pigistes. Elle reçoit de nombreux retours sur une adresse mail dédiée, qu’elle recoupe pour établir ses conclusions. Lui vient alors l’idée de créer un site gratuit à destination des journalistes rassemblant les tarifs pratiqués par de nombreux médias francophones et communiqués directement par leurs confrères et consœurs. « Les gens veulent savoir d’où viennent leurs vêtements, leur nourriture, mais pas leurs infos », déplore Nora Bouazzouni. Il lui paraît important que les lecteurs et les journalistes eux-mêmes connaissent le prix de l’info et les conditions de travail des pigistes.

« Il y a une espèce de désinvolture quant à notre situation, il faut de la solidarité » affirme-t-elle, convaincue que le combat à mener devra se faire ensemble pour plus de reconnaissance et d’égalité. Et si le site payetapige.com n’est pas encore tout à fait prêt (lancement espéré avant la fin de l’année), Nora Bouazzouni a pu présenter en avant-première à Metz quelques chiffres édifiants.

Nora Bouazzouni, par Catherine Créhange

Nora Bouazzouni, par Catherine Créhange (droits réservés)

De 50 à 300 euros le feuillet

Les Inrocks et chEEk Magazine, racheté par le précédent, sont, d’après les premières données communiquées par Nora Bouazzouni, les moins généreux en matière de rétribution de piges. Le magazine rémunérerait 50 à 75 euros brut le feuillet. Au-delà de trois feuillets, le supplément n’est pas rétribué. À l’extrême inverse, il y a le magazine Elle. D’après l’enquête, le magazine paye 200 à 300 euros brut le feuillet. « Oui, le feuillet », répète Nora. Soit 1500 signes. Le temps, c’est de l’argent, mais pas pour Le Point, qui applique un tarif de base, quelle que soit la longueur de l’article. Même principe pour le trimestriel politique Revue Charles, qui pratique, selon les premiers éléments de réponses reçus par Nora Bouazzouni, des tarifs dégressifs. Au-dessus de 25 000 signes, le feuillet descend à 50 euros.

Premiers résultats de #PayeTaPige, par Nora Bouazzouni.

Factures et droits d’auteurs

Cependant ces médias rémunèrent les piges comme il se doit, c’est-à-dire en salaire. D’autres ne le font pas, bien que la loi l’impose. Dans ces cas-là, on est payé sur facture ou en droits d’auteur. Nora Bouazzouni révèle : Konbini emploie des gens en facture, à mi-temps, pour quelques mois à deux ans et pour une rémunération de 100 à 160 euros brut la journée, et non l’article. De plus, le statut de journaliste micro-entrepreneur n’est pas autorisé par le code du travail. Accepter d’être payé en facture (ou être contraint à le faire), c’est dire non à la convention collective et à un certain nombre de droits : treizième mois, congés payés, ancienneté, carte de presse, indemnisations chômage ou licenciement. Streetpress n’a pas attendu que Nora Bouazzouni reçoive des témoignages : le rédacteur en chef a pris les devants, lui écrivant pour expliquer que le site était à la recherche d’un autre moyen pour rémunérer ses journalistes autrement qu’en droits d’auteur.

Premiers résultats de #PayeTaPige, par Nora Bouazzouni.

Marion Adrast & Justyne Stengel