À l’occasion de la journée « Newsbots » organisée par le Crem, Nathalie Pignard-Cheynel a analysé le rapport de force entre les médias et les algorithmes. La professeure à l’Université de Neuchâtel en appelle à une prise de conscience sans fatalisme face à un fonctionnement opaque.
Les algorithmes sont au cœur du fonctionnement des moteurs de recherche comme Google et des réseaux socionumériques. Ces plateformes ou « infomédiaires » opèrent en effet une sélection parmi les informations mises en circulation par les médias. Quel est le processus de sélection et quels en sont les impacts ? Nathalie Pignard-Cheynel, professeure assistante à l’Université de Neuchâtel en Suisse, souhaite « sensibiliser les publics, les journalistes et futurs journalistes » à ces questions. C’était l’objet de sa conférence lors de la journée d’études Les pratiques journalistiques face aux algorithmes et à l’automatisation, organisée mardi 19 novembre 2019 à Metz par le Crem.

Parmi tout le contenu publié sur Facebook, une première sélection est faite par les utilisateurs eux-mêmes, en fonction de leurs abonnements et de la liste de leurs « amis ». Une seconde, réalisée par l’algorithme, ne laisse que 5 à 10% de ce contenu réellement visibles.
Des algorithmes tout-puissants
Dans le jargon scientifique, on parle de « plateformisation de l’information ». Que ce soit sur Facebook ou un autre réseau socionumérique, les algorithmes « sont hyper puissants », d’après la chercheuse. Au-delà d’enjeux purement techniques, des impacts politiques, économiques ou encore éditoriaux se dessinent.
La logique de ces algorithmes est de susciter « toujours plus de clics ». Ils favorisent les contenus qui généreront le plus de revenus possibles pour les infomédiaires et non pour les médias producteurs d’informations. Un fonctionnement qui bouscule la pratique journalistique.
Un fonctionnement opaque
Les algorithmes restent un « mystère » pour les journalistes. La chercheuse remarque une « méconnaissance et un fort sentiment d’impuissance ». De nouvelles exigences émergent dans la diffusion, les obligeant à s’adapter. Dans cette course à la visibilité, la plupart des rédactions ont créé de nouveaux postes, dont celui de chargé de réseaux sociaux numériques. Son objectif est que la production journalistique du média soit la mieux référencée possible.
Le terme de « coopétition » a été utilisé pour décrire ce phénomène. Un mix entre coopération subie avec les exigences de ces plateformes et compétition pour ne pas tomber dans la logique marketing. Une manière pour les journalistes « de ne pas vendre leur âme au diable », de ne pas se plier totalement aux critères des algorithmes qui peuvent mettre en danger la pluralité des informations.
Le travail du journaliste repose sur la hiérarchisation des informations. Un paradoxe subsiste : une fois les articles postés sur les réseaux sociaux, l’algorithme opère une seconde hiérarchisation « dans un souci de maximisation de l’audience. » Intérêt informationnel et intérêt marchand s’opposent dans des « clashs » que continue d’étudier Nathalie Pignard-Cheynel.
« Une sorte de braconnage »
Avec d’autres, la chercheuse observe de nouvelles stratégies médiatiques. Afin d’être les mieux référencés possible, les médias adaptent leur titres selon le canal utilisé : « une sorte de braconnage » pour contrecarrer les filtres des algorithmes.
Les journalistes cherchent de plus en plus à comprendre le mécanisme des infomédiaires. Pour cela, des formations leurs sont proposées. Nathalie Pignard-Cheynel soulève tout de même un paradoxe car certaines sont financées par ces mêmes entités.
Dépasser la technique
D’après la chercheuse, « il n’y a pas de fatalisme ». La solution se trouve dans le fait de « sensibiliser les journalistes et futurs journalistes, stimuler leur esprit critique et dépasser l’idée de la simple boite à outils. »
Pour les étudiants, cela passe par l’expérimentation. Lors de la dernière élection présidentielle par exemple, avec plusieurs promotions de futurs journalistes, des profils d’électeurs-types ont été créés sur Facebook. Ils se sont abonnés aux mêmes pages de médias. Puis, pendant quatre à six semaines ils ont adapté leur comportement numérique en fonction du profil. Au terme de cette expérience, les étudiants ont pu constater que les données personnelles ont eu une influence sur le fil d’actualité du mur Facebook.
La conférence se clôture par ces quelques mots : « Une logique de clics n’est pas rentable à long terme pour les médias. Il faut réussir à trouver la bonne symbiose entre ces plateformes, ce qu’elles imposent parfois, et les usages. »