L’IA au service d’un « journalisme augmenté »


L’intelligence artificielle (IA) fait encore l’objet de méprises. Le chercheur finlandais Carl-Gustav Lindén entend démontrer son potentiel pour le journalisme de demain.

Carl-Gustav Lindén est un ancien journaliste reconverti dans la recherche à la Swedish School of Social Sciences. Comme beaucoup de chercheurs, il pose la question de l’évolution du métier. L’utilisation de la machine dans la production de contenus est l’une de ses pistes principales. Entre anticipation et limites, il cherche à en déconstruire les préjugés pour faire valoir ce que cette technologie pourrait apporter au travail journalistique. Il est venu en parler à la journée d’étude Les pratiques journalistiques face aux algorithmes et à l’automatisation, organisée par le Crem.

Carl-Gustav Lindén – photo Lucas Ruch

Informaticiens et journalistes : la nécessaire collaboration

De ses observations, Carl-Gustav Lindén déplore un manque de collaboration entre informaticiens et journalistes. Ces métiers peuvent en effet apparaître distincts. L’un pense majoritairement en structures, en raisonnements mathématiques. L’autre aime la créativité des mots et la narration. Ces différences sont néanmoins conciliables et même complémentaires. Car s’il semblerait y avoir une distance considérable entre travailleurs du textes et des données, tous deux se rejoignent sur deux points : la recherche de la vérité et la nécessité de structurer le propos. Pour comprendre les enjeux de l’information de demain il ne faut donc pas se contenter d’un esprit mathématique ou logique. Il faut allier les deux.

Pour appuyer cette idée, le chercheur prend l’exemple d’une citation de Larry Birnbaum, professeur en informatique à l’université de Northwestern. Il y souligne le manque de prise de risque chez les journalistes :

Les journalistes sont très sceptiques […] ils se disent toujours que cela ne va pas marcher. Nous [informaticiens] disons: « Je ne sais pas si cela va marcher mais taisons-nous et faisons-le. »

Larry Birnbaum

Un scepticisme qui n’est pas favorable aux journalistes et aux médias.

Entre méconnaissance et besoin d’appropriation

D’abord, il faut bien comprendre en quoi consiste l’intelligence artificielle (IA). Loin des robots et des circuits ultra-complexifiés, elle est d’abord un travail d’humains, basé sur des données et le développement d’algorithmes capables d’anticiper. C’est cet aspect « machine » qui a tendance à faire peur aux journalistes en besoin de contrôle. Au lieu de leur promettre une « intelligence augmentée », propre à l’humain et pleinement possédée, on leur parle de reléguer à des machines le travail de mise en forme et de réflexion. Du moins, dans l’imaginaire qui entoure ces technologies en développement.

diapositive issue de la conférence de Carl-Gustav Lindén

En réalité, le travail de l’automatisation serait plus de l’ordre de l’allègement. Son intérêt n’est pas de remplacer l’humain, plus de le débarrasser des tâches répétitives qui lui prennent du temps qui serait utile à d’autres tâches. Un moyen d’augmenter l’efficacité des producteurs de contenus, mais seulement si ceux-ci en voient l’intérêt. C’est l’un des obstacles notamment constatés par le chercheur : en plus d’une peur infondée, les entreprises de presse et les espaces de recherches manquent de vision sur le long terme.

Des obstacles idéologiques qui bloquent l’investissement

On le sait, le milieu de la presse est en crise, en plein bouleversement des modèles économiques notamment. Beaucoup de titres insistent sur le clic et la publicité pour financer les contenus. Une mauvaise posture selon le chercheur, pour qui l’effort devrait davantage être tourné vers la qualité. Nombre d’expériences le montrent : lorsqu’une information est bonne, les gens sont prêts à la payer.

Pourtant, la stratégie des entreprises semble bien en retard sur les besoins actuels. Les obstacles sont techniques, organisationnels et liés à un manque de vision d’avenir. Pour cause : le travail au jour le jour des rédactions est contraint de se focaliser sur des rendements à court terme, ce qui ralentit largement le développement de technologies pourtant nécessaires. L’automatisation de contenu présente cet avantage complémentaire à la créativité du journalisme : un traitement plus massif et plus rapide des données brutes. Ainsi, un journalisme « augmenté » pourrait non seulement être plus rentable, si l’on y met les moyens, mais aussi rendre le travail plus agréable.

Pourquoi miser sur l’IA ?

Pour toutes ces raisons, l’usage des machines d’écriture automatique pourrait révolutionner le travail du journaliste. L’allégeant des tâches procédurales, celui-ci pourrait se concentrer sur ce qui fait la force du journaliste, de même que son humanité. Pour expliquer cela, le chercheur cite les deux registres de l’esprit répertoriés par le neuro-scientifique Antonio Damasio : la raison, la mémoire et la perception, qui sont tous trois adaptables au langage mathématique, et tout le reste. Tout ce qui n’est pas facilement compréhensible par les algorithmes, soit l’émotion, l’empathie et le sentiment généré par le fait même de vivre et de ressentir au travers d’un corps.

Pour le chercheur, c’est l’avancée qu’il est nécessaire d’engager. Le robot ne remplacera pas le journaliste mais pourra le compléter dans les domaines où celui-ci n’est pas aussi performant. Une « aide cruciale à l’humain ».

Vous pouvez revoir l’intervention de Carl-Gustav Lindén ci-dessous :